mercredi 20 juillet 2016

Lectures de l'été (spécial Faits divers) : Cécile Vallin, Karl Zéro et Coluche ! (partie 1)

Je vous propose à partir d'aujourd'hui une sélection de trois livres, regroupés dans une thématique Faits divers : "Cécile, ma fille, ma disparue", évocation de la disparition en 1997 d'une lycéenne de 17 ans - jamais retrouvée - à travers le témoignage de son père, un document poignant à découvrir et à partager pour ne pas laisser cette étrange affaire tomber dans l'oubli. 

La prochaine fois, je vous parlerai du nouveau volume d'enquêtes de Karl Zéro : "Étouffées - Quand la justice enterre les affaires". Édifiant !

Enfin, je terminerai cette sélection par le plus beau livre consacré à Coluche à l'occasion du trentième anniversaire de sa disparition : "Coluche - Putain de mec !", avec des photos extrêmement rares du meilleur comique français (avec Desproges) à mes yeux.

Mais commençons donc par le livre du père de Cécile Vallin :

Cécile, ma fille, ma disparue de Jonathan Oliver – Editions de L'Archipel – 189 pages – 17 euros

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L'année prochaine, cela fera 20 ans que Cécile Vallin s'est volatilisée, comme on peut le dire du vol MH370 : après une dernière communication (téléphonique), le mystère reste entier sur le déroulé des événements avant que la disparition ne soit établie.

Pour résumer les faits : Cécile, 17 ans, a disparu un dimanche soir (le 8 juin 1997) à Saint-Jean-de-Maurienne en Savoie, une semaine avant de passer le bac de philo. La veille, elle avait invité quatre copains à venir passer la soirée chez elle, enfreignant ainsi les recommandations de son beau-père et de sa mère, absents de la maison pendant le week-end (son père biologique, Jonathan Oliver, vit alors près de Caen). Pendant cette soirée « interdite », elle flirte avec l'un des garçons, trompant ainsi son petit copain « officiel ». Le lendemain après-midi, elle revoit pendant quelques heures son amant d'un soir. Il semblerait qu'elle ait eu besoin de se confier ce jour-là : elle a tenté de joindre au téléphone sa demi-sœur, dans la matinée, sans succès. L'après-midi, après le départ de son amoureux, elle a appelé une amie. Celle-ci prétendra que Cécile avait l'air « énervée », qu'elle semblait prise de remords. A 17h18, c'est son père, Jonathan Oliver, qu'elle appelle. Là encore, elle paraît « bouleversée » (c'est le terme qu'il utilisera devant les policiers). La conversation dure 6 minutes, au bout desquelles Cécile rassure son père en lui disant qu'elle va réviser sa philo. 
C'est à partir de ce moment que commencent les supputations : l'adolescente serait alors sortie, à en croire certains témoignages de personnes qui l'auraient aperçue marchant au bord de la route, un kilomètre en aval de Saint-Jean-de-Maurienne.

A la lecture du livre, rien pourtant ne permet de dire, finalement, que Cécile est sortie de chez elle après ce dernier contact téléphonique avec son père. Rien ne permet de l'affirmer puisque Jonathan Oliver utilise le conditionnel au sujet de chaque témoin (« Sabrina t'aurait aperçue », « des jeunes gens t'auraient vue vers la gare », « Tu courais […] Mais au fait, était-ce bien toi ? », « une autre de tes amies t'aurait aperçue marchant d'un bon pas », « Qui faut-il croire ? »)... 


Si ces gens connaissaient si bien Cécile, pourquoi ne lui ont-ils pas adressé la parole, d'autant qu'elle paraissait perturbée ou énervée. Laisse-t-on un ami passer devant soi sans réagir s'il semble en détresse ? 

Ce document, Cécile, ma fille, ma disparue, se présente comme un journal de bord au rythme des pensées de l'auteur, de l'évolution de l'enquête, de souvenirs familiaux. Il est tenu, d'abord, au jour le jour par ce père terriblement affecté par le drame, puis à des fréquences moins régulières, le temps faisant son œuvre d'estompage progressif de la mémoire. 

D'habitude, les rayons des librairies sont encombrés d'ouvrages racoleurs axés sur la pseudo psychologie des criminels (Dans la tête du tueurDans la tête des tueursDans la tête des tueurs en série, etc.), participant à la starification malsaine de ces êtres abjects. Ici, place aux victimes, nous avons enfin l'inverse à travers le témoignage et les confidences du père d'une jeune femme disparue. Cette lecture dans la tête d'un parent nous emmène loin du racolage habituel et replace le fait divers sur le plan de l'humain.   
Cécile, ma fille, ma disparue apparaît donc comme un livre-témoignage en forme de thérapie, ou une thérapie en forme de livre. 

Le fil rouge de l'ouvrage : les éléments contenus dans les cotes du dossier d'instruction que le père remonte comme un pêcheur au fil du temps, pour mieux tenter de percer le long et douloureux mystère qui continue à le ronger.
Mais dès le départ, cette affaire nage dans une confusion certaine. Prenons un exemple.
J'ai consulté les vidéos disponibles sur Internet sur le sujet. Dans l'une d'elles, on voit le beau-père de Cécile assurer devant le journaliste – deux ans après les faits - qu'il a appelé les gendarmes aussitôt après avoir constaté la disparition de l'adolescente, vers une heure du matin dans la nuit de dimanche à lundi, mais ne plus se souvenir si les gendarmes sont venus ou non à ce moment-là. Dans son livre, Jonathan Oliver déclare que le beau-père et la mère de Céline se sont rendus le lundi matin à 9h à la gendarmerie pour signaler la disparition de sa fille...
Des recherches sont alors lancées, près de 10 heures après la disparition de l'adolescente de 17 ans (mineure donc)...

Pourquoi dans les premiers jours les parents se sont-ils accrochés à l'hypothèse d'une fugue s'il n'y avait pas d'antécédents de ce genre de la part de la lycéenne ? Pour se rassurer sans doute, on peut le comprendre, mais cela contribue à perdre du temps.

Ce genre de confusion ou de flottement ajoute au mystère car finalement il n'y a rien à quoi s'accrocher, à l'image des nombreux témoignages non fiables affirmant avoir vu Cécile à la sortie du village.
Par ailleurs, on découvre en lisant le livre que Cécile ne disait pas tout à son père. Par exemple, il lui arrivait à l'occasion de faire du stop ou de frauder dans le train. Certes, « on n'est pas sérieux quand on a 17 ans », comme le rappelle Jonathan Oliver en citant Rimbaud - car en effet, qui n'a pas fauté à cet âge-là ? - mais Cécile a-t-elle joué avec le feu le soir de sa disparition, dans un moment d'égarement ? Rappelons qu'elle semblait particulièrement préoccupée et qu'elle avait exprimé le besoin de se confier à ses proches. 


Quoi qu'il en soit, ce livre est le récit de la douleur d'un parent dont la crainte aujourd'hui est de voir le dossier de la disparition de sa fille se clore faute d'éléments nouveaux.
La justice ne devrait en effet jamais fermer ce genre de dossier, c'est une question d'utilité publique : un assassin court peut-être dans la nature depuis une vingtaine d'années sans être inquiété. Tous les moyens possibles devraient toujours être mis en œuvre pour faire avancer l'affaire, même près de vingt ans après les faits. 

« Un dossier de vingt ans n'est pas un vieux dossier », confirme l'avocate et criminologue Corinne Herrmann, connue pour son activisme efficace dans certains dossiers non élucidés et sa volonté de ne pas voir des affaires criminelles se clore par des non-lieux.  

« Le problème, c'est que, pour ouvrir une enquête, il faut qualifier les faits », indique le père de Cécile dans son ouvrage. Alors, bien sûr, une plainte a été déposée au départ pour enlèvement et séquestration. La disparition de Cécile est qualifiée d'enlèvement par la justice. Celle-ci n'enquête donc pas dans l'orientation d'une fugue. Ou d'un crime, car il n'y a pas de corps. Mais tout espoir n'est pas perdu, même si rien ne permet d'avoir le moindre début de piste, puisque Cécile n'a laissé aucune trace derrière elle. Et elle n'a plus été vue depuis le jour de sa disparition, le 8 juin 1997. 

Dans ce dossier, il serait intéressant de suivre les préconisations suivantes de Corinne Herrmann, formulées dans une interview parue dans le Hors-Série de La Voix du Nord 13 crimes non élucidés sorti en juin  : « Il faut lister ce qui a été fait et ce qui manque. Trouver si quelqu'un a pu bloquer l'enquête à un moment. Si les enquêteurs sont partis avec une conviction qui a pu leur faire oublier une autre hypothèse. »

Pour ma part, parmi toutes les pistes à explorer, je me demande par exemple si les parents des quatre garçons invités par Cécile la veille de sa disparition ont été entendus par les enquêteurs, histoire de voir si leur version colle avec celle de leurs fils. Ou s'ils ont perçu un changement de comportement chez ces jeunes gens au moment du drame.

Ensuite, ces derniers temps, des criminels impliqués dans de vieilles affaires non élucidées ont été confondus par leur ADN. Il serait intéressant de se pencher sur leur parcours et de regarder où ils se trouvaient en 1997... Des recoupements de dossiers peuvent toujours se faire aujourd'hui. Pour preuve, cet été, deux cold case (le dossier Marie-Thérèse Borde, une représentante assassinée sur une aire d'autoroute, et celui de Ghislaine Charlier, tuée dans la même région cinq mois avant, dans des conditions similaires) devraient enfin faire l'objet d'un rapprochement, vingt-huit ans après les faits... 

Espérons que le livre de Jonathan Oliver – dont je recommande vivement la lecture - permettra au dossier Cécile Vallin de mobiliser les énergies à nouveau autour de lui, sous l'éclairage de faits et d'éléments jusqu'ici ignorés, près de 20 ans après la disparition mystérieuse, troublante, de sa fille.

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